Plus de sept heures d’échanges ouverts, vifs et par moments houleux. Au palais de la République de Dakar, des associations de commerçants, des importateurs et le patronat se sont, tour à tour, exprimés sur la lancinante question de la cherté de la vie. Cette réunion marquait le lancement des concertations sur la lutte contre la vie chère. « Œuvrer pour le mieux vivre, dans la difficile conjoncture internationale annuelle, c’est aussi faire en sorte que les Sénégalais n’en subissent pas durablement les effets », a affirmé d’emblée le président Macky Sall, faisant référence au contexte marqué par la Covid-19, puis récemment, le conflit russo-ukrainien.
Evoquant des « des sacrifices consentis par l’Etat et qui ont un impact de 627 milliards », il espère que « ces efforts soient ressentis par les Sénégalais ». Dans le même temps, le président estime que l’ensemble de la population devrait s’investir à changer les habitudes de consommation. « Consommer ce que nous produisons
et produire ce que nous consommons afin de moins dépendre des marchés extérieurs », a exhorté Macky Sall. Dans cette démarche, le chef de l’Etat précise que l’implication que tous les acteurs du pays est primordiale.
15 mesures pour lutter contre la vie chère
Au terme des échanges, le président Macky Sall a édicté 15 mesures : 11 d’urgence et 4 structurelles. Parmi les directives d’urgence, donc phares, il y a : l’accélération du payement des compensations financières dues aux meuniers qui s’élèvent à 15 milliards FCFA, le paiement par une enveloppe de 3,2 milliards de la subvention pour le riz paddy de 30 FCFA le kg sur le prix au producteur et de 2 FCFA le kg au consommateur, la suspension des droits d’accises sur les corps gras appliqués aux industries huilières locales. Comme autres mesures d’urgence, le président a également annoncé des pourparlers avec l’Inde et le Pakistan au sujet des importations de riz brisé, le renforcement du contrôle ainsi que l’octroi des moyens matériels, logistiques et humains au service du ministère de Commerce, la décongestion du Port autonome de Dakar (PAD) ainsi que la maîtrise des droits et frais de passage portuaires. De plus, la mise en place d’un numéro vert opérationnel et d’un système d’information d’alerte et suivi des prix sans oublier la poursuite des mesures visant à contenir les prix et des concertations périodiques avec les acteurs du secteur, font aussi partie des mesures.
Concernant les mesures structurelles, il s’agit d’une part de réorganiser la distribution par l’assainissement des circuits, la maîtrise des flux et le respect des règles de l’information commerciale tout en améliorant le cadre de gestion des filières d’intérêt stratégique et la protection des revenus des producteurs. D’autre part, relancer la production agricole et promouvoir le consommer local. Inscrivant la journée du 15 mars dédiée par les Nations Unies aux consommateurs dans le calendrier républicain, le président a, par la suite, donné à son gouvernement un délai de trois semaines pour mettre en œuvre ces mesures « à notre portée », selon ses mots.
Les prix du marché toujours instables
Amadou Kanouté, directeur exécutif de Cicodev Afrique a exprimé ses inquiétudes concernant la hausse des prix et l’application de ceux fixés par l’Etat depuis février dernier. Exposant les résultats d’une enquête réalisée en en deux sur ce sujet dans toutes les régions du Sénégal, il soutient que 82,22% des consommateurs affirment que la décision n’est pas appliquée, 44% des grossistes avouent ne pas appliquer la décision et 72% des détaillants s’avèrent incapables de suivre les prix. Ces statistiques, affirme M. Kanouté, illustrent l’échec de l’Etat dans sa tentative de régulariser les prix du marché.
Le retard dans le déploiement de manœuvres pour la construction d’infrastructures évaluées au milliard de FCFA a été également pointé du doigt. Le directeur de l’Agence de Régulation des Marchés (ARM) Amadou Abdoul Sy, déclare avoir entrepris les démarches requises, sans succès. « On nous a dit que nous ne devons pas faire cet investissement et que c’était à la CDC (Caisse des Dépôts et de Consignation) de le faire et nous n’avons pas eu de suite depuis », déplore-t-il. Sur ce point, Macky Sall a dans la foulée, rappelé l’engagement déjà pris par l’Etat de mettre à disposition un montant de 400 millions FCFA sur cette enveloppe.
La congestion du port, goulot d’étranglement central
Les importateurs, ont de leur côté, fustigé la congestion au niveau du PAD. Le président, a d’ailleurs lui- même, reconnu qu’elle « constituait un problème pour l’économie sénégalaise ». Pour Moustapha Ndiaye, importateur de riz, cette question est vitale dans la mesure où elle détermine la réussite des mesures annoncés par le gouvernement. « Si cette situation, n’est pas réglée, tous les efforts du gouvernement risquent d’être nuls et les armateurs risquent de surfacturer la destination du Sénégal », prévient-il.
Directement interpellé, le directeur du PAD Aboubacar Sedikh Bèye a parlé d’ « une conjoncture difficile » qui a fait que « sur 23 postes, on a immobilisé huit au service de l’économie comme la production d’électricité, le bateau hôpital Mercy Ships ou encore la construction de la plateforme Gta ». Aboubacar Bèye, a par la même occasion, appelé le secteur privé à investir dans la modernisation de la manutention.
Le secteur privé a été également brandi par Macky Sall, au sujet du problème des infrastructures de stockage. A en croire Mamadou Sall, membre de l’Interprofession Oignon, la majeure partie des investissements est consacrée à la production pour seulement 5% dans la transformation. Résultat : d’énormes pertes post- récoltes occasionnées. « L’Etat essaie d’accompagner les producteurs, mais il faut que le secteur privé investisse dans la transformation et les infrastructures de stockage », a répondu le président. En outre, Mohamed Dia de la Senico (Sénégalaise Industrie et de Commerce) s’est plaint de la fiscalité sur le secteur, la jugeant « forte ». Il estime que la taxe sur le corps gras (passée de 5% à 10% en 2018, ndlr), crée une dissension entre importateurs et producteurs.