Des dizaines d’étudiantes ont tenté de se rendre à l’université ce mercredi matin, mais plusieurs d’entre elles ont été accueillies par les coups des talibans chargés de la sécurité aux portes des universités, rapporte notre correspondante dans la région, Sonia Ghezali
Les autorités talibanes ont ordonné mardi 20 décembre l’interdiction de l’enseignement universitaire pour les femmes « pour une durée indéterminée ». « Vous êtes tous informés de mettre en œuvre l’ordre mentionné de suspendre l’éducation des femmes jusqu’à nouvel ordre », a indiqué dans une lettre adressée à toutes les universités gouvernementales et privées du pays, le ministre de l’Enseignement supérieur, Neda Mohammad Nadeem, mardi 20 décembre.
« Je suis terrifiée par l’avenir obscur qui s’offre à nous »
« Quand j’ai appris la nouvelle je ne pouvais plus m’arrêter de pleurer », confie au téléphone Laila, en master en management et gestion d’entreprise. Aucun de ses enseignants de l’université où elle étudie à Herat ne l’a prévenue. Elle a appris la nouvelle dans les médias, sidérée et anéantie.
« Je suis terrifiée par l’avenir obscur qui s’offre à nous », souffle Rabia, étudiant en journalisme à l’université de Kaboul, au bout du fil. « Je ne peux pas décider de mon avenir, les autres le font à ma place », regrette-t-elle impuissante. Pourtant, la jeune femme refuse de baisser les bras. Elle assure qu’elle continuera d’étudier à la maison.
Aucune explication n’a été fournie pour le moment pour justifier cette décision. Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, s’est dit « profondément alarmé » et a exhorté les talibans à « assurer l’égalité d’accès à l’éducation à tous les niveaux », selon son porte-parole. Les États-Unis dénoncent une « décision barbare ».
Shahrzad Akbar, l’ancienne cheffe de la commission indépendante des droits de l’homme en Afghanistan, en exil à l’étranger, a réagi sur Twitter : « Sous le régime taliban, l’Afghanistan est devenu une tombe pour les espoirs et les rêves des Afghans ».
L’interdiction de l’enseignement supérieur intervient moins de trois mois après que des milliers de filles et de femmes ont passé les examens d’entrée à l’université dans tout le pays. Nombre d’entre elles aspiraient à choisir entre des carrières d’ingénieur ou de médecin, bien que privées d’accès aux écoles secondaires.
L’étau n’a cessé de se resserrer sur les femmes en Afghanistan depuis que les talibans ont pris le pouvoir. Elles ont été exclues progressivement de l’espace public. Bannies de la vie politique, de la plupart des emplois publics, les femmes n’ont pas le droit de voyager seule sans un moharam, un parent masculin. Le mois dernier, le régime taliban leur a également interdit d’entrer dans les parcs, les jardins, les salles de sport et les bains publics.
Des arrestations de manifestantes
Pourtant, à leur retour au pouvoir en août 2021, les talibans avaient promis de se montrer plus souples, mais ils sont largement revenus à l’interprétation ultra-rigoriste de l’Islam qui avait marqué leur premier passage au pouvoir (1996-2001). Les mesures liberticides se sont multipliées, en particulier contre femmes qui ont été progressivement écartées de la vie publique et exclues des collèges et lycées.
Dans une volte-face inattendue, le 23 mars, les talibans avaient refermé les écoles secondaires quelques heures à peine après leur réouverture annoncée de longue date. Le chef suprême des talibans, Haibatullah Akhundzada, est lui-même intervenu dans cette décision, selon un haut responsable taliban.
Les manifestations de femmes contre ces mesures, qui rassemblent rarement plus d’une quarantaine de personnes, sont devenues risquées. De nombreuses manifestantes ont été arrêtées et les journalistes sont de plus en plus empêchés de couvrir ces rassemblements.
Avec rfi