Ça y est ! Amadou Bâ, alors ministre des Affaires étrangères et des Sénégalais de l’Extérieur, défenestré du gouvernement un certain samedi 17 septembre 2020, signe son retour fracassant par un autre samedi 17 septembre 2022. Macky Sall l’a choisi comme Premier ministre à l’issue des Législatives étriquées qui renvoient dos à dos Benno Bokk Yaakaar (majorité présidentielle) et Yewwi Askan Wi de l’opposition. Un hasard du calendrier qui fera, sans doute, jaser bon nombre de nos compatriotes, attentifs au langage des chiffres, au cliquetis et à la position des coquillages sur le divan des devins. Il n’est guère superflu, en effet, de signaler cette coïncidence dans un pays où les destins, selon la dure croyance populaire, se nouent et se dénouent aussi par d’autres moyens que l’effort ou l’ingéniosité personnels. Amadou Bâ est donc passé. Mais, tôt ou tard, cette balle des croyances empiriques va rebondir.
Les spéculations aussi, car à en croire, plusieurs observateurs, le nouveau PM est loin d’emporter la conviction de Macky Sall. Beaucoup estiment que le chef de l’Etat avait le regard braqué sur Abdoulaye Daouda Diallo, désormais ex-ministre de l’Economie et des Finances. C’était sa carte, « c’est toujours sa carte », soupire cet observateur ayant requis l’anonymat. « D’abord ADD a la totale confiance du chef de l’Etat, ensuite, il est bien en mesure de sanctuariser l’électorat du Fouta, célèbre pour ses votes soviétiques », précise le même interlocuteur. Un électorat sans lequel, Benno aurait mordu la poussière face à l’opposition. « Il y a eu rétropédalage, parce que le chef de l’Etat craint de relancer la polémique sur ‘Neddo ko bandoum’ (en poular, il faut toujours privilégier son parent) en nommant un PM ressortissant du Fouta ».
Le suspense est ainsi levé, mais la gestation a été assurément longue : 9mois(sic!).CommesiMackySall cherchait à mettre son PM à l’abri d’un handicap congénital capable d’entamer sérieusement son pronostic vital.
Alors fortement affaibli par les émeutes nées de l’affaire Ousmane Sonko-Adji Sarr, Macky Sall essuie une vague de critiques, sans doute fondée, jusque dans son camp, lui reprochant sa solitude institutionnelle, faute de Premier ministre. Lui s’en défend en jetant dans le débat le « fast track », car au palais, l’étape de la primature passe pour un frein dans l’accélération des procédures. Macky Sall résiste alors, puis trouve une porte de sortie avec son élection, en février 2022, à la présidence de l’Union africaine (Ua) pour un mandat d’un an. La primature revient dans la constitution, mais la nomination du PM annoncée après les Locales tarde à se concrétiser. Parce que le pouvoir fortement secoué à ces mêmes Locales par l’opposition regroupée autour de la coalition Yewwi Askan Wi perd Dakar, Thiès, Ziguinchor et Guédiawaye. En plus, l’avancée d’Ousmane Sonko et ses co-alliés n’est plus du domaine du rêve. Macky Sall qui avait promis de nommer le PM après les Locales hésite, puis se résout à attendre l’issue des Législatives pour se mettre, sûrement, à l’abri des frustrations. Et au regard des personnalités limogées comme Matar Bâ (Sports), Dame Diop (Emploi, de la Formation professionnelle, de l’Apprentissage et de l’Insertion), Abdou Karim Sall (Environnement) et, entre autres, Ndèye Saly Diop Dieng, on peut bien croire à cette hypothèse.
Le cas Aminata Touré
Les Législatives arrivent donc, et se révèlent plus dévastatrices que les Locales. BBY n’est pas majoritaire. La coalition présidentielle récolte 82 députés alors qu’il lui en fallait 83 pour franchir le cap. L’horizon s’assombrit devant une opposition parlementaire portée par des députés à l’humeur tumultueuse comme Barthélémy Dias, actuel maire de Dakar et l’activiste Guy Marius Sagna. Le pouvoir tente par des lambeaux d’arguments se raccommodant mal les uns aux autres d’asseoir l’idée que Bby est majoritaire. Mais, dans les coulisses, la manœuvre s’active et parvient à arracher le député Pape Diop, élu sous la bannière de Bokk Gis Gis Ligguey. Le pouvoir affiche un enthousiasme qui sera, hélas, de très courte durée, car Aminata Touré, déçue de ses ambitions d’hériter du perchoir ouvre le feu sur le couple présidentiel, elle va plus loin en envisageant de faire des propositions de loi contre l’immixtion de la famille dans la gestion des affaires publiques. La coalition Bby rechute virtuellement à 82 députés. Un contexte difficile qui contraint Macky Sall à réhabiliter, Amadou Bâ, le banni. Un rappel aux contours de cadeau empoisonné, au regard des mille et un défis qui se dressent sur le chemin du tout nouveau PM et de la forte dégradation de l’image du pouvoir dans l’opinion.
Le premier défi d’Amadou Bâ qui figure en bonne place dans son calepin est la flambée des prix et le coût du loyer, deux ogres que le pouvoir peine à dompter. Les populations ont le sentiment, au sujet des étiquettes affichées, au quotidien, par les denrées, d’être laissées à elles-mêmes. Les plus nostalgiques évoquent le service du contrôle des prix. « C’est le marché qui régule les prix », avait répondu, impuissante, l’ex-ministre du Commerce, Aminata Assome Diatta. C’est quasiment la même impuissance que le chef de l’Etat a affichée à propos du loyer. Face aux jeunes de la Médina et de Dakar Plateau, dans le cadre de son « Jokko ak Macky », en avril dernier, Macky Sall a avoué son échec sur la réglementation du loyer. Il tente de se rattraper, le lundi 26 septembre au cours d’un Conseil présidentiel, au palais. A l’issue de la rencontre, le chef de l’Etat annonce 17 mesures pour soutenir les ménages. Parmi ces mesures, figurent le paiement des compensations financières évaluées à 15.518.704.763 FCFA dues aux meuniers, le paiement de la subvention pour le riz paddy de 30 FCFA le kg sur le prix au producteur et de 2 FCFA le kg au transformateur, en vue de prendre en charge les frais liés à altier ce détention et certification pour un montant de 3.200.000.000 FCFA.
Forte opposition
La main dans le cambouis, Amadou Bâ devra ensuite s’atteler à recoller les débris nés de l’affaire Mimi Touré. Le choix porté sur Amadou Mame Diop, maire de Richard Toll, pour diriger l’hémicycle a eu l’effet d’un séisme au sein de la mouvance présidentielle. La suite est un feuilleton aux rebondissements fracassants. Après avoir boudé le scrutin, l’ancienne PM accuse la prééminence des « liens familiaux (sur) le mérite militant », rend publique une lettre explosive adressée au chef de l’Etat où elle incrimine « des éléments proches » du couple présidentiel voulant la neutraliser physiquement. La rupture, définitive ( ?), est apparemment consommée. Car, offensive à souhait, Mimi Touré déballe toutes les fougues de sa nature et annonce sa volonté de faire des propositions de lois contre « l’immixtion de la famille dans la gestion des affaires publiques ». Elle enfonce le clou, face à la presse le 25 septembre dernier, révélant avoir été victime de son hostilité au troisième mandat auquel « le président Macky Sall tient toujours ». Un troisième mandat « moralement et juridiquement impossible », prescrit Mimi Touré. Plus grave, elle déclare, coup sur coup, sa démission du groupe parlementaire BBY, son inscription au groupe des non-inscrits, son mouvement politique et son intention de se lancer dans la Présidentielle de 2024.
Le troisième défi qui attend Amadou Bâ est la bagarre sur le terrain, entre son gouvernement, et la « majorité » qui le porte avec l’opposition. Regroupée au sein de la coalition Yewwi, l’opposition avec à sa tête le Pastef d’Ousmane Sonko, l’opposition a gagné énormément de terrain électoral. Yewwi occupe, en effet, une bonne partie du territoire électoral national comme l’illustre de façon éclatante l’élection de Barthélémy Dias, Ousmane Sonko et Ahmed Aïdara comme respectivement maire de Dakar, Ziguinchor et Guédiawaye.
Homme politique pondéré, Amadou Bâ a su garder la distance du « politiquement correct » avec quasiment tous les milieux du pays. Au plus fort de la polémique sur l’affaire des 94 milliards ayant opposé Ousmane Sonko à Mamour Diallo, Bâ a entretenu un clair-obscur diplomatique au point de susciter le soupçon de ses camarades de parti. Militant des jeunesses socialistes durant les années 80, il a grandi sous l’aile de l’ancien maire des Parcelles assainies, Tété Diédhiou et passe pour un habile manœuvrier. En quoi d’ailleurs le tout nouveau PM commence à donner l’impression d’être la carte de Macky Sall pour la cruciale présidentielle de 2024. Si l’hypothèse se confirme, on pourrait alors dire, comme dans l’ordalie médiévale, qu’Amadou Bâ est appelé à marcher, pieds nus, sur des braises ardentes, s’il en sort indemne, les portes du palais, en guise d’absolution de Macky Sall, s’ouvrent devant lui.