La dernière fois qu’il s’était montré, Iyad Ag Ghaly participait à un fastueux banquet célébrant la libération de centaines de combattants jihadistes relâchés par le Mali en échange de plusieurs otages dont la figure politique malienne Soumaila Cissé et la Française Sophie Pétronin. C’était en octobre 2020, il y a plus de deux ans.
Cette fois, Iyad Ag Ghaly s’affiche avec plusieurs notables touaregs lui prêtant allégeance dans la région de Ménaka, au cours d’une réunion qui se serait tenue, samedi 21 janvier, il y a à peine deux jours. Les images ont été authentifiées par Heni Nsaibia, chercheur à Acled (Armed conflict location and event data), spécialiste de la sphère jihadiste au Sahel, qui précise que la date est crédible, quoique plus difficile à confirmer avec certitude.
Près d’Inekar, depuis plusieurs semaines
Selon plusieurs sources sécuritaires et civiles locales jointes par RFI, la réunion se serait tenue précisément dans le secteur d’Inekar, près de la frontière avec le Niger, une zone très éloignée de Kidal ou du sud de l’Algérie où Iyad Ag Ghaly se cache habituellement.
Surtout, Iyad Ag Ghaly serait en déplacement, dans la zone, depuis plusieurs semaines, « depuis plus de deux mois », assure même une source. Une liberté de mouvement qui peut surprendre, même si « Iyad est beaucoup plus mobile depuis le départ de Barkhane », comme l’indique un interlocuteur résumant, sur ce point, la pensée de tous les autres.
En l’occurrence, des rumeurs avaient fait état de la présence d’Iyad Ag Ghaly dans la région de Ménaka, à plusieurs occasions, ces dernières semaines. Certaines sources assurent même qu’il aurait personnellement dirigé des combats contre l’EIGS mais c’est la première fois que des photos et qu’un communiqué officiel du Jnim attestent de sa présence.
Campagne de recrutement
Ce séjour et cette publication sont ainsi très révélateurs de la situation sécuritaire dans cette partie du nord-est du Mali que se disputent, depuis près d’un an, le Jnim d’Iyad Ag Ghaly, lié à Aqmi, et la branche sahélienne du groupe État islamique.
Les civils sont bien souvent pris pour cibles, particulièrement par l’EIGS qui a érigé, en méthode de conquête, le fait de massacrer les populations, de voler le bétail et de brûler campements et villages sur son passage. Depuis mars dernier, près d’un millier de civils auraient ainsi péri, selon le décompte des communautés locales.
Dans ce contexte, le Jnim cherche à étoffer ses rangs en diffusant ces images. Iyad Ag Ghaly entend montrer son implication personnelle dans ce qui ressemble finalement à une campagne de recrutement.
Touaregs Daoussak
Selon les sources jointes par RFI, les notables prêtant allégeance à Iyad Ag Ghaly, sur les images diffusées par le Jnim, sont des Touaregs de la fraction Daoussak. Selon certaines de ces sources, cette allégeance concerne particulièrement des combattants du Mouvement pour le salut de l’Azawad (MSA), groupe armé local signataire de l’accord de paix de 2015 avec le gouvernement malien.
« Certains sont passés par nos rangs », reconnaît un cadre de ce groupe armé, « mais c’était il y a longtemps. Il n’y avait pas que des Daoussak à cette allégeance et aucun de nos combattants n’a fait défection pour rejoindre le Jnim », assure encore cette source au sein du MSA, en première ligne pour défendre les civils face à l’EIGS, depuis près d’un an, et qui voit d’un mauvais œil cette dynamique : si le MSA et le Jnim ont actuellement un ennemi commun – le groupe État islamique – et si certaines batailles ont pu les mener sur le même terrain [comme à Talataye en septembre dernier, ndlr] ce cadre du MSA se veut catégorique : aucune alliance n’est souhaitable avec le Jnim, « se jeter dans leur bras est une erreur grave. »
En tout état de cause, le nombre d’hommes concernés par cette nouvelle allégeance est difficile à estimer, mais ils ne seront sans doute pas les derniers.
« Aucun soutien »
La tentation de rejoindre le Jnim risque de se faire de plus en plus grande pour répondre aux assauts meurtriers de l’EIGS, mais aussi parce que les habitants de Ménaka se sentent très largement abandonnés par l’État malien : l’armée malienne et ses supplétifs russes, pourtant présents dans la ville de Ménaka, n’ont mené aucun combat dans ce secteur depuis le début des hostilités.
Le gouvernement de transition n’a pas même publié un seul communiqué pour déplorer la mort des centaines de civils maliens tués dans la région.
« Le SOS des populations est connu depuis longtemps », pointe une source locale, « et on ne leur a apporté aucun soutien. Il n’y a plus qu’Al-Qaïda pour leur proposer quelque chose. »
Cette source, qui estime et déplore que l’attitude des autorités fasse le jeu du Jnim, rappelle également que depuis le début de l’offensive de l’EIGS dans la zone, les activités économiques des communautés locales, largement composées d’éleveurs et de commerçants, sont à l’arrêt. « Avant, ils vivaient de leur marché, maintenant, ils n’ont plus rien. »
Avec rfi.fr