Qui de Rabat ou d’Alger mettra la main sur le gaz nigérian ? Les deux puissances maghrébines proposent en effet des projets concurrents de gazoduc pour exporter vers l’Europe les immenses réserves du delta du Niger.
« C’est la rivalité algéro-marocaine… ce sont de gros investissements structurant toute l’Afrique de l’Ouest, et l’on sait que pour la question du Sahara, c’est quelque chose de clé d’avoir le soutien d’une partie des pays d’Afrique de l’Ouest ». Benjamin Augé est chercheur à l’Ifri, l’Institut français des relations internationales, il suit depuis 2009 le projet algérien, baptisé NIGAL, et depuis 2016 l’arrivée du concurrent marocain, le NMGP. Le premier entend traverser le Sahara sur 4 000 kilomètres, le second suivrait les côtes d’Afrique de l’Ouest durant 5 600 kilomètres.
« Vous avez deux projets concurrents, parfois même contradictoires. Parce que le projet proposé par le Nigeria et le Maroc, c’est un projet plurilatéral, il englobe les quinze pays de la Cedeao, plus la Mauritanie et le Maroc. De l’autre côté, on a un projet presque bilatéral, proposé par l’Algérie au Nigeria et qui passerait par le Niger », explique Jamal Machrouh, chercheur principal au Policy Center for a New South, un laboratoire d’idées basé à Rabat.
Les Marocains ont pris une longueur d’avance
Les Marocains ont pris cet automne une longueur d’avance dans les esprits en multipliant les signatures et les mémorandums. Dans le contexte de crise gazière internationale et de guerre en Ukraine, ils ont un argument pour les Européens, destinataires in fine du gaz nigérian. « Je crois que pour l’Europe, il est important de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier. Lorsque l’on regarde aujourd’hui, l’Algérie, c’est déjà 12% (du gaz Ndlr) importé en Europe. Et cela va crescendo. Je ne crois pas que cela soit une bonne pensée politique de la part des Européens que d’additionner en plus le gaz de la Cedeao qui aboutirait à une situation d’un fournisseur majeur pour l’Europe qui serait l’Algérie », indique Jamal Machrouh.
Guerre d’influence et rivalités régionales alimentent les fantasmes, bien que selon Benjamin Augé ces projets de gazoducs risquent de ne jamais voir le jour. « C’est extrêmement improbable pour des raisons de sécurité dans la région productrice du Delta du Niger qui sont dans une grande instabilité depuis au moins le milieu des années 90. Et à partir du moment où la ressource est difficile à garantir, les projets sont des points d’interrogation. »
Autre facteur à prendre en compte selon Benjamin Augé, l’opinion publique nigériane qui ne verrait pas d’un bon œil le gaz être vendu à l’étranger, alors que le pays manque d’électricité.
Avec rfi.fr