Tout n’est pour le mieux dans le meilleur des mondes au Sénégal oriental. Malgré la mine d’or sur laquelle elles sont assises, les populations de Kédougou, Saraya, Bakel…, tirent le diable par la queue pour se soigner, s’instruire, s’alimenter ou se vêtir. L’exploitation de toute cette richesse – sans compter d’autres gisements de minerais tout aussi rentables les uns que les autres,- leur a plutôt collé une mine de souffrance et de malheur à la face.
Coordonnateur de la section du Forum civil à Kédougou, Guimba Diallo raconte que les conditions de vie des communautés locales ne cessent de se dégradées, quand l’Etat et les industries extractives donnent l’impression que tout va bien. A l’en croire, rien de tout ce que les industriels disent avoir fait à coût de milliards de francs CFA pour les populations ne se reflète chez ces dernières. « Lors d’un atelier tenu il n’y a pas longtemps à Kédougou, une matrone à Tomborong Koto, dans la zone de Mako où opère l’entreprise PMC, a témoigné que c’est au moyen d’une lampe torche qu’elle continue d’assister les femmes enceintes pour accoucher la nuit, faute d’électricité », rapporte-t-il. « Une autre dame a dit qu’elle a fini par se lancer dans l’orpaillage traditionnel et travaille dix heures par jour, entre 07 et 17 heures pour 5 mille francs CFA pour entretenir la famille, pour que ses enfants puissent aller à l’école », narre encore notre interlocuteur pour qui, cela illustre la situation « désastreuse » que vivent les populations.
À 442 Km de Kédougou, le département de Bakel affiche la même mine de de désolation. Les retombées socioéconomiques de l’exploitation minière sont jugées « très faibles » par le Coordonnateur de la section locale du Forum civil. Le point qu’il fait de la situation actuelle est que le désenclavement est à un niveau incongru dans certaines zones où on ne retrouve même pas de latérite. Le peu qu’il y avait est totalement détruit par les va-et-vient incessants des camions en provenance de Kéniéba d’où est extrait le manganèse par une entreprise indienne GH MINING. Sans aucune mesure d’atténuation. Les populations n’ont, en retour, que la poussière causant des maladies pulmonaires, la pollution sonore, la destruction de l’environnement. Les écoles manquent de murs de clôture, la corvée de l’eau potable est prégnante, l’ambulance de la zone de Sadatou patauge dans l’eau, quand la présence de l’Etat est très timide.
Pas moins d’une dizaine de sociétés extractives opèrent à ce niveau du Sénégal oriental, dont Shift gold, Aba group, Areski dans la commune de Bélé, Mapathé Ndiouck dans la commune de Gabou non loin de Bakel.
Le rapport d’évaluation final des progrès accomplis dans la mise en œuvre de la Norme ITIE pour la validation du Sénégal de 2021, indique, pour la composante Transparence, que l’exigence « Impact environnemental » n’a pas été évaluée, de même que celle dite « Gestion des revenus et des dépenses ». Toutefois, note-t-on dans le même document le Groupe multipartite ITIE a ébauché et soumis plusieurs notes techniques dans le cadre de ses efforts de plaidoyer afin de veiller à ce que la transparence et la redevabilité soient institutionnalisées (par exemple, dans le cadre de contributions à la loi sur le contenu des politiques locales et aux lois gazière et pétrolière. De plus, le Groupe multipartite a apporté une contribution efficace aux politiques gouvernementales telles que la Stratégie nationale de lutte contre la corruption.
RSE, un coup d’épée dans un océan
Le calvaire de ces communautés aurait pu être amoindri voire jugulé si une partie des richesses tirées des ressources dont regorgent leurs terroirs leur était reversée. Mais à Bakel comme à Kédougou, les investissements annoncés par les entreprises dans le cadre de la Responsabilité Sociétale d’Entreprise (RSE) sont à peine visibles et ce sont les populations elles-mêmes qui le disent, à en croire le Forum civil. « Si les populations étaient prises en compte dans les actions de Rse, elles ne seraient pas ingrates au point de nier que ces sociétés ont amélioré leur quotidien » déclare Guimba Diallo de Kédougou pendant que Alphousseyni Cissokho de Bakel soutient que les entreprises sont très peu enclines à répondre aux tas de lettres qui leur sont adressées et en déduit que l’apport Rse de ces entreprises est nul. « Ce sont des Rse non encadrées où on peut donner juste une petite ambulance et les communautés ou les élus s’en contentent. Mais les vrais préoccupations des populations ne sont jamais prises en compte », souligne-t-il. « On aurait aimé entendre les populations dire, au moins, que nous étions en train de boire une eau infestée, maintenant grâce aux industries extractives, des ouvrages sont installés et nous ont permis de sortir de cette situation. Mais rien de cela n’est encore visible », regrette Diallo.
D’après toujours le Forum civil, cette situation perdure dans la mesure où les patrons de ces entreprises extractives leur ont toujours fermé les portes. « Les entreprises sont des bunkers. Vous ne voyez que des travailleurs, vous ne voyez pas les décideurs. Il n’y a aucun cadre de concertation ou d’échange autour d’une table, parce qu’ils ne sont pas disposés à nous recevoir et ne font aucun effort pour que les gens puissent discuter avec eux », fustige Cissokho qui préside aux destinées d’une association locale dénommée « Féri Killé » (ou le véritable chemin du développement durable). Il explique cette frilosité des patrons d’entreprises extractives par le fait qu’ils ont réussi à travailler avec les élites locales, c’est- à-dire les maires, l’administration territoriale, les imams, et l’information tourne entre ces personnes, au grand dépit des communautés à la base. « C’est un rideau qu’il faut casser », promet-t-il.
Hausse des revenus dans le secteur minier
Le rapport pour l’année 2019 de l’Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives (ITIE) montre que les revenus du secteur minier sont en hausse de 22,59 milliards de FCFA, passant de 111,90 milliards de FCFA en 2018 à 134,49 milliards de FCFA en 2019. « Les revenus générés par le secteur extractif en 2019 (161,03 milliards de FCFA, dont 24 milliards pour le secteur des hydrocarbures) ont été affectés à 91,65% au budget de l’Etat. Le reste des revenus est réparti entre le compte d’exploitation de la société nationale Petrosen, les fonds propres des organismes collecteurs, les dépenses sociales et environnementales », rapporte le document.
Pourtant, les communautés impactées ont le sentiment d’être lésées dans le partage des richesses générées. Car d’après Cissokho de Bakel, les fonds miniers ne sont opérationnels qu’au niveau central. Il en est de même pour le fonds d’appui au développement local qui n’est pas alimenté ou qui, en tout cas, n’accède pas aux communautés. Le fonds de réhabilitation, c’est idem. S’il est vrai que ces fonds doivent être centralisés et redistribués à partir des collectivités territoriales, le coordonnateur de la section Bakel du Forum civil n’en estime pas moins que dans la mise en œuvre, les ayants-droit se sont le plus souvent retrouvés avec zéro franc CFA. Le plus regrettable est que le fonds de péréquation présente des contraintes qui ne jouent pas en faveur des régions du Sénégal oriental. « Pour ce fonds par exemple, on dit qu’on doit partager nos ressources avec les autres régions, mais le critère démographique mis en avant fausse le jeu. Cela veut dire que Touba et Dakar, plus peuplées, doivent avoir, par exemple, 1 à 2 milliards FCFA et qu’au niveau local, on se retrouve avec 700 mille FCFA, malgré le désastre écologique qui pèse sur les communautés », relève Cissokho.
L’avenir incertain des jeunes
Parce que l’Etat et les sociétés extractives ne daignent toujours pas à se monter aux côtés des populations affectées, certaines familles prennent leur destin en main en risquant la vie dans des trous de plusieurs dizaines de mètres de profondeur à la recherche hypothétique de la pépite d’or. Cela, dans l’espoir de gagner leur vie, et de pouvoir envoyer les enfants à l’école afin de les sauver du calvaire des parents. Seulement, Guimba Diallo reste pessimiste quant à l’avenir des enfants scolarisés. Car selon lui, après l’obtention du Brevet de fin d’études moyens (Bfem) ou du Baccalauréat, ces jeunes ont d’énormes difficultés pour s’insérer dans le marché du travail dans la mesure où ils ne reçoivent pas de formations professionnelles. En l’absence de formation spécifique dans le domaine minier, le Lycée Technique Industriel et Minier de Kédougou assure plutôt une mission d’appui à l’artisanat local. « Du coup, regrette-t- il, c’est un cercle vicieux. Ces mêmes enfants qui ont été entretenus dans des conditions extrêmement difficiles sont obligés de replonger dans la même situation pour des corvées et espérer gagner de modiques sommes d’argent ». Les gérants de ces sociétés ont toujours à la bouche le prétexte pour ne pas recruter la main d’œuvre locale, qu’elle n’a pas une qualification professionnelle qui réponde aux profils recherchés, alors qu’ils ne font rien de visible pour contribuer à son employabilité.
Dans le rapport 2019 de l’ITIE, il y est mentionné au titre de l’année 2019 que les sociétés du périmètre de l’ITIE ont employé 7 951 personnes dont 95% de nationaux. La masse salariale était de 92 021 175 464 FCFA dont 84 049 379 647 FCFA pour les employés du secteur minier et 7 971 795 817 FCFA pour ceux du secteur des hydrocarbures.
Restauration des sols, le grand désert
Aujourd’hui plus que jamais, beaucoup de cas d’échec scolaire espèrent trouver la voie du salut dans le sillage peu florissant des diouratigui (ou propriétaires de puits d’or en langue malinké) qui excellent dans l’orpaillage artisanal. Non sans conséquences cataclysmiques sur leur propre leur cadre de vie. « La vérité est que ce sont ces gens-là qui laissent derrière des trous béants partout sans les refermer et quelques fois les animaux y sont piégés à mort. Ils détruisent l’environnement avec le cyanure et le mercure, des produits qui polluent l’atmosphère et la nappe phréatique », dénonce le coordonnateur de la section Forum civil à Kédougou, Guimba Diallo. Son homologue de Bakel, lui, pointe la délivrance tous azimuts par le Service régional des mines d’autorisations aux communautés étrangères pour l’exploitation des mines et pense qu’il y a un travail à faire dans l’octroi de ces permis afin de s’inscrire dans la dynamique du développement durable par la restauration des sols. Selon lui, le traitement est fait à partir du mercure et du cyanure qui sont reversés directement dans les lits de fleuves. « L’environnement est en train d’être détruit à une vitesse exponentielle. Si rien n’est fait, dans quelque temps, il n’y aura même pas de vies. Les animaux sont en train de mourir parce qu’ils boivent l’eau du fleuve. On ne voit plus de crapauds aux environs des cours d’eau, l’agriculture est foutue parce que l’eau est polluée et c’est presque tout le fleuve Sénégal et toute la Falémé. Ce sont des unités d’exploitation artisanale de l’or autour de la Falémé, avec de gros engins et causent un désordre énorme derrière elles. Et c’est le fait de toutes les nationalités de la sous régions ouest africaine avec toutes sorte de conséquences sur la santé, l’environnement, la dégradation des mœurs telle que la prostitution», alerte Alphousseyni Cissokho.
Mais il n’y a pas que les acteurs de l’orpaillage artisanal qui sont responsables de la destruction de l’environnement sans la moindre tentative de restauration. Guimba Diallo rapporte que les entreprises, quant à elles, disent qu’elles ont rempli leur part de contrats signés et qu’il appartient à l’Etat de restaurer les terres puisque, poursuivent-elles, de l’argent a été versé pour cela. Dans tous les cas, il estime que les services des Eaux et Forêts doivent veiller à cela.
Poursuivant sur la même lancée, Cissokho de Bakel révèle que l’entreprise Mapathé Ndiouck qui exploite une mine de Grés parle de reboisement, mais quand vous allez sur le terrain, ce ne sont que 2 ou 3 arbres. « Je reconnais les mêmes arbres depuis que j’étais enfant. Je veux dire qu’il n’y a pas de nouvel arbre planté par cette entreprise. Ils savent qu’il faut reboiser pour remettre en l’état ces espaces exploités, mais ne font rien », dénonce-t-il. Il souligne que la Division régionale des établissements classés (Drec) de Tambacounda, située est à 250 Km de Bakel, est dans l’impossibilité de mener à bien sa mission de terrain et cela, faute de routes praticables. « Conséquence, fait-il constater, il n’y a pas de contrôle de terrain de l’Etat. Pourtant, ils sont chargés de contrôler les engagements pris en termes d’atténuation des impacts négatifs de l’industrie extractive sur l’environnement. Ces gens font face à un problème de personnel et de logistique roulant ».
Le déclic
Face aux dégâts, le forum civil ne manque pas de ressources pour changer la donne. Des initiatives commencent à germer. C’est le cas du projet dénommé : « femme et collectivité minière » ayant récemment réuni les femmes transformatrices de produits locaux pour installer des plateformes à Kédougou aussi bien qu’à Mako. L’objectif étant d’aboutir à une plateforme nationale pour que les femmes concernées puissent trouver des fonds à partir des collectivités territoriales et gérer leur quotidien. En toute autonomie. A côté, le Forum civil a entrepris des week-ends d’informations sur les communautés minières, avec à la clé des campagnes de sensibilisation pour un changement de comportement. Etant donné que l’orpaillage artisanal est une activité transfrontalière entre le Mali, la Guinée, le problème pourrait rester entier si une vision transfrontalière ne guide pas les solutions envisagées, craint Cissokho. Par ailleurs, il est d’avis que l’ITIE doit davantage veiller au grain et s’assurer que les entreprises déclarent ce qu’elles gagnent pour permettre de savoir combien doit revenir aux communautés. En outre, il plaide pour que le développement humain figure dans les critères de redistribution des fonds de péréquation ; ce qui, à ses yeux, élèvera un peu le niveau des ressources des collectivités territoriales au profit des communautés. Mais, pourvu qu’il y ait un bon arbitrage budgétaire par les municipalités, avertit M. Cissokho.