Une trentaine d’opérateurs se partagent le marché de l’électrification rurale sur l’île de Madagascar via les mini-réseaux solaires. Parmi eux, WeLight, né fin 2018 de l’union de trois actionnaires : le mastodonte malgache Axian, la banque de développement souveraine de Norvège Norfund et le géant européen spécialisé dans les équipements réseaux Sagemcom. Entretien avec Romain de Villeneuve, directeur général de WeLight.
RFI : Vous estimez que cette collecte de fonds, conséquente pour le secteur, représente un tournant dans votre modèle économique. Pourquoi ?
Romain de Villeneuve : Le fait de recevoir une somme significative de la part de ces trois acteurs, la BEI (Banque Européenne d’investissement, ElectriFI (le fonds européen d’investissement pour les projets d’électrification) et la banque d’impact néerlandaise Triodos, pour financer notre croissance à Madagascar, c’est la reconnaissance de la viabilité et de la pérennité de notre modèle.
Aujourd’hui, avec les 35 villages (soit 9 000 foyers) qu’on a déjà déployés sur l’île, on a pu montrer factuellement à nos banquiers quels étaient les coûts d’investissements pour chacun des villages, quels étaient les revenus attendus, ce qui fonctionnait et ne fonctionnait pas et quels étaient les risques et opportunités du marché.
Vous avez annoncé que cette collecte de fonds de 19 millions d’euros, à laquelle vos 3 actionnaires ont décidé d’abonder à hauteur de 10 millions d’euros, servirait à la construction de 120 sites additionnels.
Oui, au cours de nos déploiements passés, on s’est rendu compte que notre modèle fonctionnait à condition d’avoir du volume. C’est ce qui nous a poussés à enclencher les discussions avec les différents investisseurs. Cette collecte de fonds a l’avantage de pouvoir répliquer un modèle opérationnel et financier qui fonctionne, et de permettre d’amortir les investissements de structures et d’IT [technologies de l’information, NDLR], notamment, en les répartissant sur tous ces villages.
Vous présentez votre modèle comme étant original par rapport à celui de vos concurrents.
Oui, dans le sens où ce qu’on peut voir ici et ailleurs en Afrique subsaharienne, ce sont des modèles où une partie des investissements de départ sont subventionnés contre des prix de vente d’électricité faibles. Ce modèle a montré ses limites puisque aujourd’hui, il n’a clairement pas répondu au besoin des 700 millions d’habitants en Afrique encore privés d’électricité. Avec notre approche, nous recherchons une économie d’échelle pour rentabiliser notre propre investissement, ce qui nous libère un peu plus des subventions, et nous permet des déploiements plus massifs, plus rapides et plus sécurisants : plus il y a de volume, moins il y a de risques.
Cela ne signifie pas que nous sommes contre les subventions, mais on préfère celles qui viennent récompenser un travail réalisé, plutôt que celles qui viennent avant l’investissement et dont on sera dépendant pour le déploiement.
Comment choisissez-vous les villages à électrifier ?
D’abord, on regarde le dynamisme économique du village. Y a-t-il des entrepreneurs ? Vivent-ils d’une économie locale particulière telle que le girofle, la vanille ou la pêche ? Ces entrepreneurs sont nos meilleurs représentants. Ils vont acheter notre électricité et vont faire évoluer leur modèle de production, de distribution et vont participer à l’essor économique provoqué par l’arrivée de l’électricité.
Ensuite, il s’agit de critères plus techniques. La taille du village, par exemple. On a défini qu’il fallait un minimum de 3 500 habitants pour pouvoir se constituer une clientèle de base qui puisse accéder à l’achat de cartes d’électricité prépayées. La forme du village est également importante parce que si le village est trop éclaté, on ne va pas pouvoir assumer une bonne distribution de l’électricité tout en rentabilisant nos coûts de distribution. Le village doit aussi être accessible par route au moins 8 mois sur 12. Enfin, nous devons respecter la législation qui impose qu’ils soient éloignés des zones déjà desservies par le distributeur d’électricité national.
En moyenne, dépendamment de la capacité et de la longueur de la ligne de distribution installées, l’investissement coûte entre 250 000 et 500 000 euros par village.
Quels sont les impacts espérés avec l’opérationnalisation de ces 120 villages ?
Nous allons mettre en place 5 000 lampadaires, connecter toutes les mairies, les petites gendarmeries locales, tous les bâtiments communautaires. À la fin de 2024, quand on aura mené à bien notre programme, nous estimons à 1 million le nombre de personnes qui vont avoir leur vie transformée par l’arrivée de l’électricité dans leur village.
Disparités tarifaires et encadrement
À Madagascar, seuls 15% de la population rurale a accès à un réseau électrique. Le marché de la production et de la distribution d’électricité en dehors des périmètres de ceux dans lesquels opère la Jirama, l’opérateur public national, a été libéralisé. Ce marché, essentiellement rural, est vaste et porteur : 50 millions d’euros supplémentaires devraient être levés en 2023 par les autres opérateurs de ce secteur des mini-réseaux solaires. Néanmoins, le secteur privé est soumis à la réglementation et à la régulation du marché par l’Arelec pour fournir une électricité à un tarif abordable pour les populations. Ce tarif reste donc conditionné à des niveaux de subventions adaptés. Enfin, malgré la loi, dans la pratique, de grandes disparités tarifaires subsistent encore entre les différents opérateurs.
Avec rfi.fr