Les premiers chiffres remontés par les préfectures attestent d’une mobilisation importante : au moins 36 000 personnes ont ainsi défilé à Toulouse, 25 000 à Nantes, 23 000 à Lyon, 19 000 à Clermont-Ferrand ou encore 15 000 à Montpellier.
Les pointages de la police ou des préfectures sont particulièrement significatifs dans des villes moyennes, à l’image de Pau (13 600 manifestants), Angoulême (9 000) et Châteauroux (8 000).
Selon le syndicat CGT, quelque 400 000 personnes ont manifesté jeudi après-midi à Paris contre la réforme des retraites. Le chiffre des autorités n’était pas immédiatement disponible.
Globalement, les niveaux sont comparables, voire supérieurs, à ceux du 5 décembre 2019 : au démarrage de la contestation contre le précédent projet de réforme des retraites, la police avait compté 806 000 manifestants en France, la CGT 1,5 million.
« Je pense que le million va être dépassé », a déclaré le secrétaire général du syndicat, Philippe Martinez, dans le carré de tête de la manifestation à Paris, évoquant une mobilisation « réussie ». « On est clairement sur une forte mobilisation, au-delà ce qu’on pensait », a abondé le numéro un de la CFDT, Laurent Berger.
À Marseille – où ils étaient 26 000 –, au milieu d’une foule compacte, le chef de file du parti La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, a estimé que « le gouvernement a perdu sa première bataille, celle d’avoir convaincu les gens de la nécessité de sa réforme ».
Là c’est énorme, hein. Il y a longtemps qu’on n’en avait pas vues, des comme ça. C’est parce que les gens sont touchés, je peux vous parler de moi. Aide-soignante, en soins à domicile, pendant 44 ans. J’ai travaillé neuf ans la nuit, j’ai 1 400 euros de retraite, je ne peux plus relever les bras.
Quelques heurts sur tout le territoire
Plus de 200 points de rassemblement étaient prévus en France, les autorités attendant 550 000 à 750 000 manifestants, dont 50 à 80 000 dans la capitale. Pour encadrer les rassemblements, plus de 10 000 policiers et gendarmes étaient à pied d’œuvre, dont 3 500 à Paris.
Des heurts ont éclaté dans l’après-midi à Paris entre forces de l’ordre et manifestants avec jets de projectiles et usage de gaz lacrymogènes, a constaté un journaliste de l’AFP. À l’avant du cortège, des membres de groupuscules radicalisés et violents, des black bloc, ont jeté des poubelles, des bouteilles et des fumigènes. Quelques heurts signalés aussi à Lyon ou Rennes.
Selon la préfecture de police, vingt interpellations ont été opérées lors de la manifestation de Paris, qui a débuté vers 14h15 place de la République, à destination de la place de la Nation, via la Bastille. Les heurts se sont déroulés alors que les délégations syndicales se trouvaient loin derrière.
Transports en commun au ralenti
Les Français qui n’ont pas recours au télétravail, qui s’est fortement développé depuis le Covid-19, doivent composer avec des transports en commun au compte-gouttes.
À la SNCF, qui affiche un taux de grévistes de 46,3%, la circulation était « très fortement perturbée » : un TGV sur trois circule, voire un sur cinq selon les lignes, et à peine un TER sur dix en moyenne. Le métro parisien est également « très perturbé ».
Il n’y avait aucun trafic au port de Calais, premier de France pour les voyageurs, en raison d’une grève des officiers de port. Raffineries et dépôts pétroliers étaient aussi appelés à cesser leurs activités.
28% de grévistes dans la fonction publique d’État
Près de trois fonctionnaires sur dix – soit 28% – étaient en grève jeudi en milieu de journée dans la fonction publique d’État, qui compte 2,5 millions d’agents, selon des chiffres communiqués par le ministère de la Fonction publique. Dans la fonction publique territoriale (près de deux millions d’agents), le taux de grévistes s’élève à 11,3% et dans la fonction publique hospitalière (1,2 million d’agents), il atteint 9,9%.
À l’Éducation nationale, bastion syndical dans la fonction publique, le ministère a annoncé jeudi matin un taux d’enseignants grévistes de 42,35% dans le primaire et de 34,66% dans le secondaire. Et une poignée d’établissements ont été l’objet de blocus à Paris, Rennes et Toulouse.
« Il faut bloquer l’économie »
Pour le leader du syndicat Force ouvrière, Frédéric Souillot, « on est partis pour un conflit dur », « il faut bloquer l’économie ». Une réponse à Emmanuel Macron, qui a jugé mercredi qu’il fallait « faire le distinguo entre les syndicats qui appellent à manifester dans un cadre traditionnel et ceux qui sont dans une démarche délibérée de bloquer le pays ».
Bien que leurs modes d’action divergent, les huit principaux syndicats présentent un front uni inédit depuis douze ans. Les partis de gauche sont également vent debout. Cette première journée a valeur de test pour l’exécutif comme pour les syndicats, qui devaient se retrouver en fin de journée pour décider d’une nouvelle date. Le 26 janvier est sur la table.
La CGT du pétrole veut se remettre en grève ce jour-là pour 48 heures, et le 6 février pour 72 heures. La CGT Mines-Énergie a, elle aussi, annoncé une grève reconductible. Les baisses de production d’électricité se sont déjà fortement intensifiées ce jeudi, atteignant au moins l’équivalent de deux fois la consommation de Paris.
À quelques jours de la présentation du texte en Conseil des ministres, le gouvernement continue de faire œuvre de « pédagogie », Élisabeth Borne défendant un « projet porteur de progrès social pour le pays », selon ses termes.
Emmanuel Macron s’exprime depuis Barcelone
« Il est bon et légitime que toutes les opinions puissent s’exprimer », a déclaré ce jeudi le président français, en marge d’un sommet à Barcelone, en Espagne, sortant de sa réserve observée sur les retraites depuis la présentation du texte, le 10 janvier.
Emmanuel Macron dit espérer que les manifestations en France se déroulent « sans débordements », tout en défendant son projet, qui a, à ses yeux, été déjà « démocratiquement validé » lors des élections présidentielle, puis législatives.
« Je fais confiance aux organisateurs de ces manifestations pour que cette expression légitime de désaccord puisse se faire sans créer trop de désagréments pour l’ensemble de nos compatriotes, mais évidemment sans débordements ni violence ni dégradation. »
Tous les Français ayant voté pour lui n’étaient pas pour la réforme, « mais il n’en demeure pas moins que les choses ont été aussi expliquées clairement, démocratiquement », considère le chef de l’Etat, selon lequel « on peut pas non plus faire comme s’il n’y avait pas eu d’élections il y a quelques mois ».
« Il faut procéder à cette réforme », insiste-t-il, car elle est selon lui « juste et responsable ». « Et donc, conclut le président Macron, nous le ferons avec respect, esprit de dialogue, mais détermination et esprit de responsabilité. »
Avec rfi.fr