Une découverte inespérée
Cette découverte, on la doit la ténacité d’un homme : le Britannique Howard Carter. En 1914, quand il reprend les fouilles dans la Vallée des Rois pour le compte de Lord Carnarvon, un aristocrate britannique féru d’égyptologie, il est persuadé que le tombeau d’un certain Toutânkhamon, un pharaon méconnu de la XVIIIe dynastie du Nouvel Empire (1550-1085 av. J.-C.), se trouve caché quelque part au milieu de la soixantaine de tombes déjà exhumées. Arrivé dans la Vallée du Nil en 1890 à l’âge de 17 ans, ce dessinateur de talent et passionné d’archéologie connait parfaitement le terrain. Nommé inspecteur des Antiquités pour la Haute-Égypte en 1900, il base son intuition sur des débris en céramique portant le nom de Toutânkhamon trouvés lors de fouilles antérieures.
Pourtant, après une douzaine d’années de prospection et la mise à jour de nombreuses sépultures, le précèdent propriétaire de la concession, l’Américain Theodore Monroe Davis déclarait en la cédant à Lord Carnarvon qu’« il n’y avait plus rien à y trouver. » La découverte par Davis en 1907 de la cache d’embaumement de Toutânkhamon était restée dans suites, mais constituait pour Carter un argument supplémentaire pour sa quête.
En 1922, après sept ans d’excavations dans la nécropole thébaine, les faibles résultats ne sont pas à la hauteur des lourdes dépenses engagées et Lord Carnarvon demande à Carter de tout arrêter. Mais l’archéologue est quelqu’un de têtu et parvient à convaincre son mécène de le financer encore une année supplémentaire.
Pour cette ultime campagne de fouilles qui démarre le 1er novembre, l’archéologue concentre ses recherches dans une zone jusqu’ici peu explorée située entre les tombes de Ramsès III, de Mérenptah et de Ramsès IX, non loin de la cache d’embaumement et de l’emplacement où il a trouvé les débris au nom de Toutânkhamon. Après avoir évacué une quantité considérable de déblais, ses équipes finissent par dégager les vestiges de huttes d’ouvriers de la nécropole royale dans le but de creuser le sol sur lequel elles reposaient.
En arrivant le matin du 4 novembre, Carter constate qu’« un silence inhabituel » règne sur le chantier : un jeune porteur d’eau aurait, en trébuchant, exposé la première marche d’un escalier s’enfonçant dans le sol, à quatre mètres de l’entrée de la tombe de Ramsès VI. La découverte est inespérée.
Dans une atmosphère empreinte d’espoir et d’excitation, il faut deux jours de travail intense pour dégager les douze premières marches de l’escalier, dévoilant le haut d’une porte scellée par des sceaux que Carter identifie comme étant ceux de la nécropole royale. Piqué de curiosité, il creuse une petite ouverture sous le linteau de bois à travers laquelle il entrevoit un corridor totalement obstrué. Si rien ne lui permet encore de savoir à qui elle appartient, il comprend qu’il est probablement devant une tombe royale encore intacte, fait exceptionnel alors que toutes les autres sépultures ont subi fouilles et pillages depuis l’Antiquité.
Le soir du 5 novembre, face à cette découverte qui pourrait être majeure, il envoie un télégramme à Lord Carnarvon en Angleterre : « Avons enfin fait une découverte extraordinaire dans la vallée : une tombe somptueuse dont les sceaux sont intacts ; l’avons refermée jusqu’à votre arrivée. Félicitations. »
« Voyez-vous quelque chose ? » … « Oui, je vois des merveilles ! »
Le 23 novembre, Lord Carnarvon et sa fille, Evelyn Herbert, arrivent à Louxor et les fouilles reprennent le lendemain. La totalité de la première porte est rapidement dégagée révélant des sceaux portant le cartouche de Toutânkhamon, mais également des traces de ce qui ressemble à des tentatives de pillage avortées. Certains débris collectés, identifiés comme appartenant à son père Akhenaton et à sa sœur Mérytaton sèment le trouble quant à l’identification de l’hypogée et laisse penser à une cache royale amarnienne. La première porte est ouverte le matin du 25 novembre, s’ouvrant sur un couloir descendant de plus de sept mètres entièrement remplis de gravats.
Dans l’après-midi du 26 novembre, une seconde porte apparait, réplique de la première et portant elle aussi le sceau de Toutânkhamon. En présence de Lord Carnarvon, de sa fille et d’Arthur Callender, un archéologue anglais venu assister Carter, ce dernier ouvre une brèche dans le haut de la porte et découvre, à la lueur d’une bougie, un impressionnant bric à brac d’objets, de statues et partout, le scintillement de l’or. Face au silence d’un Carter abasourdi, Carnarvon s’impatiente et demande « Voyez-vous quelque chose ? » ce à quoi l’archéologue répond « Oui, je vois des merveilles ! »
Après avoir agrandi l’ouverture dans la porte, les quatre Britanniques pénètrent dans une première salle qui sera désignée comme l’antichambre. Une fois acclimatés à la pénombre, ils découvrent une pièce partiellement en désordre, comme si des objets volés y avaient été redéposés. Mais aussi des lits funéraires dorés à tête d’animaux, deux statues grandeur nature coiffées du Cobra sacré se faisant face, telles des sentinelles, des chars en pièces détachées, des chaises, un trône en or, des vases pour onguents en albâtre, des coffres contenant des vêtements en lin et une multitude d’objets précieusement décorés. Une fois l’électricité installée, Carter et Callender fouillent chaque recoin et trouvent une seconde pièce plus petite, l’annexe, elle aussi remplie d’une profusion d’objets précieux et de meubles entassés les uns sur les autres. Mais pas de momie.
Le 28 novembre, avec l’aide des ouvriers égyptiens, les Britanniques ouvrent une brèche dans le mur situé entre les deux sentinelles et découvrent cette fois une pièce aux murs peints dont la quasi-totalité de l’espace est occupée par un immense coffre en bois finement ciselé d’or : la chambre funéraire. Il faudra près de trois années pour démonter les quatre chapelles et trois sarcophages qui, emboîtés tels des poupées russes, abritent la momie du jeune Toutânkhamon qui repose dans un cercueil d’or massif de 110kg, coiffé d’un somptueux masque funéraire en or incrusté de lapis-lazuli et de pierres semi-précieuses.
Alors que la date officielle de l’ouverture de la chambre funéraire est notée au 17 février 1923, différents indices tendent à démontrer que Carter aurait utilisé des fragments ou des copies de sceaux pour la refermer et camoufler son forfait, comme l’explique Marc Gabolde, archéologue et égyptologue à l’Université de Montpellier.
Le 29 novembre marque ainsi la date de l’ouverture officielle du tombeau en présence de notables égyptiens. La nouvelle de cette incroyable découverte fait le tour du monde entier, suscitant la curiosité des touristes et l’intérêt de nombreuses institutions. Carter et Lord Carnarvon recrutent une équipe de spécialistes pour participer à l’exploitation de la découverte. Il faudra plus de 10 années pour extraire et inventorier la totalité des quelque 5000 pièces du tombeau – dont plus de 2000 objets de bijouterie et d’orfèvrerie – qui permettront de mieux connaitre l’histoire de la vie royale et de la vie quotidienne de l’époque. La disparition prématurée de Lord Carnarvon, en avril 1923, alimentera le mythe de la malédiction du pharaon, qui sera élucidée par la présence dans la tombe de champignons provoquant des maladies respiratoires.
Un pharaon effacé de l’histoire
Comment ce trésor exceptionnel, le seul à avoir été retrouvé intact, a-t-il pu échapper aux innombrables pillages qui sévissent dans la Vallée du Nil depuis l’Antiquité ? Comment expliquer son ampleur alors que Toutânkhamon était un pharaon plutôt méconnu ?
Né à el-Amarna vers 1340 av. J.-C., pendant la XVIIIe dynastie du Nouvel Empire, Toutânkhaton – le nom de naissance de Toutânkhamon – est le fils d’Akhenaton et présumément de Néfertiti. Orphelin à l’âge de quatre ans, il serait monté sur le trône entre l’âge de sept ou neuf ans. Il règne pendant une dizaine d’années depuis Louxor, la capitale de l’Égypte, qu’on appelait Thèbes dans l’Antiquité. Comme tous les pharaons, il marque son règne en bâtissant des édifices à son nom. Mais après son décès, toutes les références à son existence, images et monuments, sont effacées et son nom disparait de la liste officielle des pharaons de l’Antiquité. S’il a été ainsi supprimé de l’Histoire, c’est à son père Akhénaton qu’il le doit.
Alors qu’il est jeune souverain, Aménophis IV – le nom de naissance d’Akhénaton – mène une importante réforme pour transformer la religion égyptienne, historiquement panthéiste et polythéiste, en culte d’un dieu unique, Aton, le disque solaire. Ce faisant, il réduit le clergé égyptien à néant. Dimitri Laboury, égyptologue à l’Université de Liège, raconte comment ce souverain hérétique fait bâtir, à 300km au nord de Louxor, sa propre capitale qu’il baptise Akhétaton (Amarna), qui signifie « l’horizon d’Aton » en égyptien, car c’est là le point d’apparition du soleil sur Terre. Il va ainsi bouleverser la Maât, c’est-à-dire la mission confiée par les dieux aux pharaons de faire respecter le principe d’ordre, de vie et de vérité qui assure la stabilité du monde tel qu’il a été établi lors de la Création. La Maât, c’est aussi le culte que le pharaon rend aux Dieux qui, en échange, assurent sa prospérité et celle de la population. Si le règne d’Akhénaton, qui dure environ 15 ans, est considéré en partie comme une révolution religieuse et culturelle de l’Antiquité, il s’achève tragiquement avec un État en faillite, un royaume touché par une épidémie de peste et soumis à des défaites militaires.
À la mort d’Akhénaton, sa fille Mérytaton, la demi-sœur aînée de Toutânkhaton, lui succède pendant environ trois ans. Elle amorce, jusqu’à la nomination de son jeune frère, la rupture avec la réforme menée par leur père et restaure le culte traditionnel du dieu Amon et l’ordre de la Maât. Rentré à Thèbes, celui qu’on appelle désormais Toutânkhamon entame la transformation du pays avec l’aide de l’ambitieux général Horemheb. Alors que ce dernier n’a pas d’origine royale, il connait une formidable ascension au sein de la cour. Après le décès prématuré de Toutânkhamon vers 1323 av. J.-C., il parvient, avec l’aide du clergé égyptien, à évincer son successeur Aÿ.
Une fois au pouvoir, Horemheb, qui sera le dernier pharaon de la XVIIIe dynastie, entreprend d’effacer toute trace du règne de l’hérétique Akhenaton, mais aussi de sa descendance. Cette sanction se traduit par la destruction de chaque image et monument à leur nom, mais également par leur suppression des listes officielles de archives de la monarchie. Car dans la tradition de l’Égypte antique, l’effacement du nom condamne à l’oubli et anéantit toute espérance de vie après la mort. L’entrée de la tombe de Toutânkhamon sera recouverte des déblais engendrés par le creusement des tombeaux ultérieurs, la rendant invisible aux pillards. Cet oubli infligé à Toutânkhamon aura ainsi permis de préserver son trésor funéraire.
Une tombe et une partie du trésor ne lui étaient pas destinés
Depuis la découverte de ce trésor hors norme par Howard Carter en 1922, nombreux sont les chercheurs qui tentent d’en percer le secret.
L’un d’eux, Marc Gabolde, archéologue et égyptologue spécialiste de la XVIIIe dynastie, explique qu’une partie du trésor n’était pas destinée au jeune pharaon, mais à un prédécesseur qui aurait gouverné pendant une courte période avant lui : la sœur de Toutânkhamon, Mérytaton. Pendant ses trois ans de règne, elle se serait constitué un trousseau funéraire somptueux qui, après sa disparition dans des circonstances inexpliquées, aurait ensuite réattribué à son frère, et découvert par Carter en 1922.
Gabolde raconte comment il a découvert, sous le cartouche au nom de Toutânkhamon retrouvé sur des petits sarcophages à viscères, des cannes et certaines chapelles dorées, le nom de la reine-pharaon Mérytaton. Plus encore c’est par hasard, lors de la réparation du masque funéraire en or massif dont la barbe s’était détachée, qu’il constate là encore la présence du nom de Mérytaton sous celui de Toutânkhamon.
L’archéologue britannique Nicholas Reeves fait, lui, la démonstration à partir des oreilles percées du masque d’or. Dans l’ancienne Égypte, les enfants-pharaons ont les oreilles percées, mais à l’âge adulte, seules les femmes portent des boucles d’oreilles. Les pharaons eux, n’en portent plus, confirmant que ce masque funéraire était donc initialement destiné à Mérytaton.
Depuis 2015, Nicholas Reeves concentre ses travaux autour de la théorie selon laquelle la tombe de Néfertiti, femme d’Akhénaton et belle-mère de Toutânkhamon, se trouverait derrière la chambre funéraire de ce dernier. Le Britannique suppose, que faute de tombeau disponible au décès du jeune pharaon, la tombe de Néfertiti aurait été réouverte pour l’inhumer. Si les images radar qui ont sondé la chambre funéraire en 2016 n’ont rien confirmé, Reeves déclare, dans un entretien accordé au média britannique The Guardian en septembre 2022, qu’il aurait trouvé des indices dans les hiéroglyphes du mur nord : les cartouches qui illustrent Aÿ enterrant Toutânkhamon auraient en réalité recouvert les cartouches initiaux montrant Toutânkhamon enterrant son prédécesseur, c’est-à-dire Néfertiti. Bien que Nicholas Reeves soit un égyptologue renommé qui a travaillé au British Muséum, d’autres archéologues réfutent sa théorie.
En attendant, les recherches se poursuivent et cent ans après sa découverte, cet exceptionnel trésor n’a pas encore fini de nous livrer tous ses secrets.
Avec rfi.fr