Siré Kaba, une personnalité pétillante, reçoit dans sa boutique de l’avenue Georges-Henri, dans le quartier résidentiel de Woluwe, à Bruxelles. Robes de coupe européenne, kimonos en batik de Guinée, bombers en wax, boubou brodé sur du jersey de coton… L’endroit regorge de couleurs, aboutissement de tout un parcours.
Fille de diplomate, la styliste a grandi entre la Tanzanie et le Ghana avant d’arriver en Belgique à l’adolescence, à 15 ans. Elle étudie le journalisme et la communication à Bruxelles, puis la gestion culturelle, avec un voyage enchanteur de quatre mois au Canada. Elle se cherche, travaille dans les assurances, devient mère et se « pose beaucoup de questions ».
Elle passe au Sénégal un séjour déterminant, en 2014, pendant des vacances. « Une envie créative et une énergie débordante sont remontées à la surface », raconte-t-elle. Son rapport avec sa mère, qu’elle a perdue lorsqu’elle avait 19 ans, devient une évidence. « Je n’avais pas pris le temps de faire le deuil. J’étais prise dans mes études en Belgique, que je devais réussir parce que ma mère y tenait beaucoup ». Le fait d’avoir un enfant la fait réfléchir à sa culture familiale, son héritage et ce qu’elle va transmettre à sa fille.
Une question d’enfant pour déclic
À Dakar, elle renoue avec l’Afrique et passe des heures au marché. Remonte aussi à la surface « un super souvenir que j’ai gardé de mes années en Afrique. Un continent où j’étais très bien et dont je n’avais pas honte. J’avais du mal à trouver en Belgique un narratif positif à ce sujet. » Elle achète beaucoup de tissus, bien plus qu’il n’en faut pour faire la combinaison à laquelle elle pense. « C’était plus fort que moi. Sans le savoir, j’avais enclenché la première étape de mon projet. »
Toutes les « pièces du puzzle se rassemblent » lorsque sa fille, dans une exposition à Bruxelles, remarque le caractère monochrome des familles décrites sur un prospectus. « Et nous alors ? », lui demande-t-elle. Siré Kaba lance Erratum Fashion en 2016, une marque qui se veut résolument belge, promeut le métissage et la couleur. Son nom vise non pas à pointer des erreurs, mais à les corriger – il s’agit ici du « manque de visibilité » des diversités africaines.
De fil en aiguille, le succès
À ses débuts, elle a essuyé quelques « douches froides ». Notamment après un premier rendez-vous pour un coaching au Centre bruxellois de la mode et du design, où son interlocutrice ne « comprend pas le projet, faire une marque belge aux standards, avec un accent africain et ces textiles colorés ». Elle garde le cap : pas question pour elle de faire dans « l’ethnique », alors que le wax, lorsqu’il est utilisé par des créateurs européens, paraît « branché ». Sa marque sera inclusive ou ne sera pas. « Les tissus sont africains, mais la production est belge », dit-elle.
Elle vend d’abord dans de petits événements, par le bouche-à-oreille et des pop-up stores, notamment au festival Afropolitan, organisé au Palais des Beaux-Arts (Bozar). Elle postule en 2018 pour se placer dans la boutique du musée Kanal Centre Pompidou, en pleine ville, et se voit sélectionnée. Ce qui lui vaut d’être repérée par l’organisateur d’un événement exclusif pour la banque BNP-Paribas, fan de ses créations. Ce contact lui vaudra d’être aussi remarquée par Delphine Boël, avant qu’elle ne soit reconnue en 2020 comme la fille légitime du roi Albert II, après un long combat en justice.
Une robe princière qui fait couler de l’encre
En 2021, malgré la pandémie, tout s’enchaîne assez vite. En mai, elle est nominée par l’émission « C’est du belge », de la RTBF et Paris-Match Belgique, puis élue « meilleure marque belge de l’année ». Deux mois plus tard, les médias ne peuvent que s’intéresser à elle : elle signe la robe, la coiffe et le masque en wax, sensationnels, arborés par la princesse Delphine, le jour de la fête nationale, pour sa première sortie royale, le 21 juillet 2021.
« Elle n’a rien dit, n’a pas fait de discours sur son vêtement, mais les gens y ont vu tellement de sens », commente Siré Kaba. « Le vêtement, par nature politique », lui semble alors porté dans le droit fil de l’esprit de sa marque : Erratum Fashion, qui cherche à corriger des erreurs, est validé par Delphine. Tout un symbole.
« Je suis très fière d’avoir la clientèle que je voulais, avec des origines diverses !, poursuit la styliste. J’ai eu des clientes qui se demandaient si mes pièces étaient pour elles, si elles n’allaient pas faire de l’appropriation culturelle… » Inscrite dans son époque, Siré Kaba les rassure : elle est là pour créer « un bien culturel qui s’adresse à tous ».
Avec rfi