Le ministre des Finances et du Budget a présenté, ce jeudi à Dakar, à l’ouverture de la rencontre tripartite Gouvernement-Patronat-Syndicats, une situation de base des finances publiques, pour le moins, inquiétante quant à l’aboutissement de revendications à incidence financière soulevées par le monde du travail national. A en croire Cheikh Diba, l’Etat du Sénégal, sous le régime précédent, a largement vécu au-dessus de ses moyens à la suite de plusieurs dérapages notés dans la gestion des finances publiques de 2019 au 24 mars 2024.
« Le constat que nous pouvons faire, c’est que sur la période de l’étude sur la gestion des finances publiques de 2019 au 24 mars 2024, l’Etat du Sénégal a largement vécu au-dessus de ses moyens. Et pour couvrir une partie de ces dépenses, s’endetter sur le marché́ bancaire local. Ces endettements-là̀, ce financement se faisait hors budget. Ce qui a, à un moment, renchéri deux statistiques fondamentalement de finances publiques que nous utilisons pour faire la communication, c’est le déficit budgétaire et le taux d’endettement », a indiqué aux partenaires sociaux le ministre des Finances et du Budget.
« En lieu et place d’un déficit budgétaire moyen de 5,5%, communiqué sur toute la période de manière officielle, l’audit de la gestion des finances publiques a révélé́ que le déficit budgétaire réel du Sénégal est à̀ 11,1% sur la période considérée. Vous pouvez donc apprécier l’ampleur des dérapages que nous avons constatés sur la période sous-revue. Ce déficit-là, naturellement, s’est répercuté́ sur le taux d’endettement de la République du Sénégal », a ajouté Cheikh Diba.
« Officiellement, nous communiquions une statistique de 74% du taux d’endettement. L’audit a révélé́ que nous sommes très loin de cette statistique-là. Plus exactement, nous sommes à 99,67% du taux d’endettement. C’est-à-dire que la dette de l’Etat du Sénégal, à ce jour, est presque égale, vraiment presque égale, à la totalité́ des richesses qui sont créées sur l’étendue du territoire national. Voilà̀ ce que cela signifie. Voilà̀, véritablement, le tableau qu’il convient de considérer pour ce qui concerne la situation de base de nos finances publiques », a encore dit l’argentier de l’Etat.
« A ce jour, la dette de l’Etat presque égale à la totalité́ des richesses créées sur l’étendue du territoire national »
Outre l’importance des dettes bancaires contractées hors circuit budgétaire, le ministre est revenu sur les manquements notés sur les recettes budgétaires où il note une absence de visibilité́ sur l’évaluation des dépenses fiscales. « Une dépense fiscale, à coté d’une dépense budgétaire, correspond à̀ une renonciation de recettes en lieu et place d’une exécution de dépense. Cela revient au même, au lieu de subventionner, la dépense fiscale correspond au fait que les pouvoirs publics peuvent renoncer à̀ des recettes qui leur sont dues pour soutenir le secteur économique. Compte tenu des objectifs économiques qui sont fixes aux générations, aux mesures de renonciation de recettes, cela peut se concevoir », a-t-il admis. Mais pour M. Diba, « un Etat doit avoir une visibilité́, un rapport d’évaluation sur ces dépenses fiscales qui sont consenties pour le secteur économique, de façon à̀ pouvoir faire un bilan coût-avantage, un bilan d’efficacité́, un bilan même d’efficience sur ces renonciations que nous faisons ».
Autres manquements relevés par le ministre des Finances et du Budget dans la gestion des finances publiques de 2019 à mars 2024, ceux notés sur les dépenses publiques qui, fondamentalement, concernent d’importants transferts que l’Etat fait au profit des services non personnalisés de l’Etat. C’est-à-dire qu’un service de l’Etat qui devait bénéficier de crédits de fonctionnement, de crédits d’investissement, qui se retrouve avec des transferts. « Les transferts sont un mécanisme assez particulier, notamment d’exécution de la dépense. Et à̀ ce niveau-là̀, ces manquements ne devaient pas s’opérer. Et nous nous engageons, au niveau du ministère des Finances, à apporter toutes les réponses pour que de pareilles pratiques ne puissent se reproduire », a déclaré Cheikh Diba.
Il a aussi relevé des manquements sur la comptabilisation des ressources externes. « Les ressources externes sont véritablement des financements que nous contractons auprès de certains bailleurs, qui présentent une nature assez particulière. C’est la confessionnalité́ des ressources qui sont utilisées, donc des ressources assez abordables, mais sur une maturité́ aussi assez longue. Maintenant, ce qui se faisait, c’est que ces ressources-là̀ n’étaient pas comptabilisées intégralement dans nos lignes budgétaires ».
« Le Sénégal est dans un environnement d’incertitude, avec des marges budgétaires plus ou moins étanches »
Selon lui, cela se passe dans un contexte assez particulier, où l’environnement national, sous-régional et international fait face à̀ plusieurs défis. « Défis dans notre engouement avec les pays voisins qui sont dans des situations précaires, avec des implications au plan sécuritaire. Défis par rapport à̀ ce qui se passe en Europe, comme pour l’Europe de l’Est. Crise israélienne. Défis par rapport à̀ ce qui se passe aujourd’hui au Moyen-Orient avec le conflit israélo-palestinien qui s’est entendu au Liban. Dans une certaine mesure au-delà̀ du Liban en Iran, avec toutes les implications que cela pourrait avoir données sur les cours fondamentaux qui constituent les hypothèses de base sur lesquelles nos économies sont fondées, à savoir le cours du baril du pétrole, mais aussi le cours du dollar », a-t-il relevé aussi.
Le ministre des Finances et du Budget d’avertir à la suite de cette situation de base que le Sénégal est dans un environnement d’incertitude. « Et quand on est dans un environnement d’incertitude, avec des marges budgétaires plus ou moins étanches, je viens de vous présenter la situation de la dette, de notre défi budgétaire. Ma foi, il faut être regardant, il faut être circonspect, il faut faire attention à̀ la façon dont nous pilotons notre budget. C’est notre responsabilité́ de faire ce travail-là. Nous sommes en train de définir le cadre. Nous avons aujourd’hui défini une matrice de mesures de réforme pour reposer notre économie, notre budget sur les trajectoires de consolidation budgétaire, que nous n’aurions jamais dû quitter d’ailleurs », a-t-il ajouté.
Néanmoins, Cheikh Diba a rassuré qu’à l’horizon 2027, l’Etat espère pouvoir revenir à̀ l’orthodoxie si les mesures qu’il a déjà identifiées sont mises en œuvre.