Quelles sont les réformes qui peuvent être attendues au plan économique avec cette nouvelle législature ?
Cette nouvelle législature avec une composante d’une opposition assez forte peut faire des propositions concrètes sur l’ensemble des réformes nécessaires pour mettre le pays dans une gouvernance économique beaucoup plus saine. Il faudra s’attendre à une révision des codes comme celui du pétrole et du gaz, des codes sur la terre avec des réformes agraires mais aussi du code sur la fiscalité.Il y a tout un chantier sur le plan des réformes. Ces réformes ont été toujours demandées par la Banque mondiale. Des réformes qui sont peut-être la condition de réussite du PSE (Plan Sénégal émergent). Depuis lors, on assiste à des réformettes. On n’a jamais touché le fond pour une orientation stratégique d’un développement inclusif. Dans le secteur de la pêche, par exemple, il y a des réformes importantes qui sont attendues sur le code. C’est la même chose sur le plan de l’agriculture mais aussi et surtout de la terre.
Et comment légiférer par rapport à ces réformes ?
C’est une mission de légiférer sur les pratiques professionnelles à tous les niveaux économiques pour qu’on soit dans un espace sécurisé par des lois mais qu’on soit aussi dans des espaces d’encadrement et d’encouragement à partir de lois. Ce sera un apport important et décisif en termes d’orientation de développement. Ce qui va augurer une nouvelle ère dans l’approche stratégique du cadre professionnel. C’est le vœu des grandes institutions qui voudraient faire de notre pays, un pays où les acteurs économiques trouvent des facilités d’accès. Mais aussi pour le législateur sénégalais, une occasion de mieux partager les ressources du pays et mettre en avant les grands promoteurs sénégalais dans le patriotisme économique. C’est très important en matière de PPP (Partenariat public privé) que les rapports entre les investisseurs étrangers et les promoteurs sénégalais soient des rapports d’équité, d’égalité, qui puissent donner aux acteurs sénégalais leur chance. Parce qu’après tout, c’est notre pays. On ne peut pas continuer à donner l’essentiel des chantiers à des Chinois ou à des Turcs. Le législateur sénégalais dans les différentes réformes devra être au cœur d’une nouvelle orientation qui sera plus bénéfique pour l’ensemble des acteurs.
Les priorités, selon vous, se situent à quels niveaux ?
Les priorités économiques du Sénégal peuvent être résumées en termes de leçons post-Covid, post- guerre Ukrainienne. Nous avons vécu des difficultés et des risques en termes de consommation qui devraient normalement être dans une nouvelle démarche d’autosuffisance en termes de nourriture, d’éducation et de santé. L’émergence c’est aussi cela. L’émergence ce n’est pas le développement, mais c’est l’autonomisation sectorielle. Il nous faut une production sanitaire de qualité, une production scolaire de qualité. Mais aussi une production alimentaire qui nous assure une sécurité sur au moins 9 ou 10 mois sur 12. Sans quoi des risques réels pèseront sur notre vécu quotidien. La preuve : les deux inflations que nous vivons actuellement : l’un post-Covid et l’autre post-guerre ukrainienne. C’est parce que nous avons un modèle d’importation qui nous tue. Aujourd’hui, le fret aérien coûte beaucoup plus cher que le prix des matières premières. Nous nous trouvons dans une situation inflationniste générale et généralisée sur tous les produits. Mais aussi une situation qui ne peut être réglée que par des subventions. Même si l’Etat décidait d’y mettre l’entièreté du budget national, il y a des consommations qui sont tellement importantes et indispensables comme le riz, le gaz, l’huile, le ciment, des productions tellement importantes dont les prix ne peuvent pas être bloqués par des subventions. Les priorités se trouvent dans une réorientation stratégique des investissements. Les investissements sur le transport c’est plus de 3 000 milliards de FCFA, alors que les investissements sur ces productions sont loin d’être importants. Les priorités c’est la production locale. Une production qui nous épargnerait d’une dépendance extérieure et qui limiterait les importations tout en promouvant l’économie locale des acteurs locaux. Parce que ce sera un système économique inclusif.
A travers cette nouvelle configuration de l’Assemblée avec une majorité étriquée pour le pouvoir, ne craignez- vous pas un blocage sur les réformes économiques ?
C’est vrai qu’aucune majorité ne s’est dégagée. Par conséquent, on peut s’attendre à des batailles d’envergure. D’une part, le pouvoir ne voudra jamais laisser l’opposition faire de belles propositions que les Sénégalais vont saluer. De l’autre côté aussi, l’opposition n’acceptera jamais d’être phagocytée. Ce qui fait qu’il y a un risque réel de plomber de grandes avancées qui pourraient être proposées par l’une des parties. On ne peut avoir aucune garantie de stabilité politique jusqu’aux élections présidentielles de 2024. A un an et quelques mois de cette campagne, il est évident que ce sera œil pour œil, dent pour dent. Cette bataille au niveau de l’Assemblée nationale sera épique et personne ne peut dire d’avance ce qui en adviendra.
Est-ce que des possibilités de renégociations des contrats ne s’offrent pas avec cette forte représentation de députés de l’opposition ?
Pour les contrats déjà ratifiés, l’Assemblée nationale peut faire des propositions de renégociation. Mais il faut qu’on soit raisonnable parce qu’il s’agit d’un espace juridique extrêmement complexe. Les contrats sont renégociables, mais il faut qu’on soit de vrais diplomates pour éviter des procès au niveau international comme le tribunal de Paris. C’est important du point de vue de la rentabilité du Sénégal par rapport à ces ressources avec notre pays qui ne pèse que 10% dans l’or. C’est la même chose pour le pétrole et le gaz. L’opposition fera peut-être des propositions dans ce sens. Même si cette réforme passe, il faudra qu’on soit prudent pour éviter le clash avec des hommes d’affaires véreux qui tiennent aussi à leur investissement et aux risques qu’ils ont déjà pris. Il faudra négocier avec intelligence. C’est possible parce que le Ghana, le Nigéria et d’autres pays l’ont fait. On peut s’inspirer de ces exemples pour acquérir des redevances beaucoup plus conséquentes parce que ces ressources appartiennent au pays même si on n’a pas les moyens de les exploiter.
L’inflation est sans cesse galopante et on note une cherté des denrées de premières nécessités, est-ce qu’on peut s’attendre à des propositions de loi allant vers des réformes pour alléger la souffrance des populations ?
Sur la question de la cherté des denrées de première nécessité, l’opposition a fait des propositions durant la campagne électorale. Elle a fait des propositions de baisse ou d’annulation de taxes. Si elle a les moyens, elle va proposer une révision fiscale. Pour que ce qu’elle a proposé soit visible aux yeux des Sénégalais, elle va proposer des subventions pour maintenir le cap vers une législation du marché pour des prix homologués mais qui risquent de coûter cher aux finances publiques. C’est une promesse faite par le groupe de l’inter coalition Yewwi – Wallù lors de la campagne. Je crois comprendre qu’effectivement qu’il s’agira d’une révision du code douanier parce que tous ces produits sont importés. Mais aussi une révision du Code fiscal pour que les taxes sur ces produits soient révisées. Si on prend l’exemple du ciment, avec touteslesdifficultésquenousavons aujourd’hui, la taxe sur le ciment est de 25%. Ce qu’on pourrait ramener à 10%. C’est la même chose avec le carburant où la taxe frise les 65%. On peut porter la taxe sur ce produit à 45%. Ce qui ne nécessitera aucune subvention pour baisser les produits aussi bien du carburant que du ciment. Je crois que c’est cette bataille qui sera engagée pour les produits de première nécessité comme le riz, l’huile importée et tous les produits importés pour faciliter l’accès de ces produits à nos concitoyens mis à rude épreuve par ces inflations. Les Sénégalais souffrent stoïquement dans leurs petits coins.